C'était la rentrée scolaire si redoutée parmi les enfants de tous âges et à la fois tant attendue. C'était le moment des retrouvailles, le moment des câlins amicaux lorsque d'anciens amis se revoyaient après deux pénibles mois de torture auprès de petits frères, petites sœurs et parents. Les yeux scintillants, les amis échangeaient des souvenirs. Quelqu'un éclatait de rire là-bas ; un autre, allez savoir pourquoi, imitait Tarzan ici… quoique à bien y penser, l'ensemble s'apparentât bel et bien à une jungle en folie. L'entrain des élèves et l'anticipation d'une nouvelle année remplie de gags et de folies d'adolescents ne laissaient pas les enseignants indifférents. Certains se joignaient à des groupes d'étudiants afin de leur souhaiter la bienvenue en les assénant de tapes affectueuses dans le dos.
Caroline éprouva un pincement au cœur en observant toutes ces marques d'amitié. Les rares amis qu'elle avait eus à son ancienne école ne s'étaient même pas efforcés de lui demander sa nouvelle adresse ou son numéro de téléphone. Ils s'étaient foutus d'elle. Un poignard de glace sembla transpercer sa poitrine et les yeux de Caroline s'emplirent d'eau. Elle n'avait jamais eu de vrais amis. Une unique larme glissa lentement le long de sa joue. Elle tenta de réprimer ce torrent de tristesse, de haine et de désespoir qui tentait de la noyer. Elle ne pouvait se permettre une crise la première journée d'école. Elle s'essuya les yeux et se leva brusquement. Elle se mit à marcher d'un pas rapide. Elle ne savait pas où ses pieds la menaient, mais elle devait absolument faire quelque chose, n'importe quoi pour éviter cette catastrophe. Elle déambula dans les couloirs, parmi la masse de visages étrangers. Elle déambula seule, inaperçue.
La première cloche sonna, à demi étouffée dans la cacophonie générale, mais Caroline n'en fut pas consciente. Ce qui lui fit réaliser qu'elle devait se rendre à son premier cours fut le flot soudain d'étudiants qui coulaient autour d'elle. La jeune fille se laissa emporter par le courant bien qu'elle n'eût pas encore jeté un seul coup d’œil à son horaire. Elle avait été trop préoccupée par ses problèmes. Ainsi, lorsque les étudiants se dispersèrent afin de se rendre à leurs locaux respectifs, Caroline se retrouva seule dans cet étrange labyrinthe de corridors blanc délavé. Elle consulta son horaire. Elle commençait en français avec madame Évelyne Brulotte. Où pouvait bien se trouver ce local? Après plusieurs minutes de vaines recherches, l'inquiétude gagna Caroline. La deuxième cloche, annonçant le début des classes, allait bientôt retentir. Elle serait en retard la première journée d'école. Ça commence bien l'année, tu ne trouves pas? Une fois encore, tu vas rater cette journée! Fais donc quelque chose de bien pour une fois, Caroline Lapointe!
Son ange gardien devait veiller sur elle car, miracle, miracle, elle aperçut enfin son local. Elle y accourut et, en franchissant le seuil de la porte, la deuxième cloche se fit entendre. Caroline s'arrêta un instant en pénétrant dans la classe. Il y avait une vingtaine d'étudiants. La plupart se tournèrent de son côté et l'observèrent de la tête aux pieds. Elle était si mal à l'aise. Tous ces regards la rendaient nerveuse. Ils semblaient l'étudier comme ils étudieraient un insecte exotique sous un microscope. L'adolescente fouilla la classe furtivement du regard, tout en essayant de ne pas entrer en contact avec les yeux des autres, en vue d'un pupitre auquel s'asseoir. Elle opta pour un pupitre à l'arrière, d'où elle pourrait étudier la classe et ne pas être étudiée. Elle se concentra sur ses actions, sortir son cartable, son coffre à crayons, et, bientôt, les étudiants vaquaient à leurs affaires. Caroline regarda l’horloge accrochée au mur et réalisa qu’elle devrait demeurer dans cette prison sociale pendant près de sept heures encore. La jeune fille se mordit la lèvre inférieure et souhaita passer au travers cette journée sans complication supplémentaire.
Lorsque la première période fut terminée, Caroline rangea lentement ses effets, la tête baissée pour ne croiser le regard de personne. En peu de temps, la plupart des étudiants étaient sortis. Caroline balança son sac à dos sur ses épaules et releva la tête pour voir le couple qu'elle avait vu à l'agora lors de l'inscription. C'était les deux adolescents qui l'avaient entendu rire et l'avaient regardée amusés. Les couleurs se drainèrent de son visage. Heureusement, ils étaient dos à elle et sortaient de la classe. Mais ils l'avaient vue quand elle était arrivée. Pourquoi devait-elle toujours s'inquiéter de tout? Parce qu'elle devait bien paraître. Elle était la fille de Jessica Paradis et Rock Lapointe et il importait qu'elle projette la meilleure image possible. Caroline soupira. Elle était devenue une professionnelle des soupirs!
– Alors, Caroline, comment trouves-tu ta nouvelle école? demanda madame Brulotte, l’enseignante, en regardant tendrement Caroline.
– Je l'aime bien, répondit Caroline.
Quoique ce ne fût pas exactement vrai, ce n'était pas tout à fait faux non plus. Malgré les intenses émotions que les circonstances lui avaient fait vivre, son opinion sur ce nouvel environnement n’était pas encore formée.
– J'espère que les autres élèves ne te laisseront pas seule, lui confia sincèrement Mme Brulotte.
– Oh! Quelques-uns m'ont déjà adressé la parole, mentit Caroline.
– Ah oui? C'est très bien ça. Tu sais, je connais ces élèves depuis deux ans et ils sont très agréables. Je suis certaine que tu vas te faire de très bons amis!
Caroline répondit qu'elle l'espérait aussi. Elle souhaita une bonne journée à l'enseignante et s'éclipsa. Pour une première période, ç’aurait pu être mieux, pensa-t-elle. Si elle n'était pas arrivée en retard, elle aurait peut-être pu passer inaperçue. D'autre part, ses compagnons de classe avaient semblé très peu intéressés par ce nouveau spécimen qu'elle était. C'était probablement mieux ainsi. Son secret était beaucoup plus en sécurité sans amis intimes.
Elle se rendit à son deuxième cours en avance afin d'éviter la petite mésaventure de la première période. C'était un cours d’éducation à la vie économique. L’adolescente bâilla d’anticipation. L’enseignant, un jeune homme revêtant une tenue extravagante, salua Caroline du regard en ouvrant la porte du local. Elle se faufila rapidement à l'intérieur et s'empara d'une place dans le coin avant de la classe. Les pupitres étaient jumelés deux par deux donc, vraisemblablement, quelqu'un devrait s'asseoir à ses côtés. Caroline se prépara mentalement à ne rien gâcher cette fois-ci. Aussi effrayée qu'elle était d'aborder les gens, elle devait tout de même essayer de paraître bien.
Les étudiants arrivèrent par petits groupes. Caroline les observa, distinguant facilement les diverses divisions de la classe. Il y avait quatre factions qui se démarquaient. À en juger par les apparences, les étudiants à l'opposé de la classe -
– Je peux m'asseoir ici?
Caroline étudia l'adolescente qui venait de lui adresser la parole. C'était la fille du cours de français, celle qui se tenait avec le garçon, celle qui avait été amusée à l'agora. Elle était de taille moyenne, probablement aussi grande que Caroline. Ses cheveux châtains descendaient jusque sur ses épaules. Derrière de petites lunettes rondes, deux grands yeux verts pétillaient de malice.
– Bien sûr, répondit Caroline en souriant timidement, dissimulant du mieux qu'elle le pouvait la nervosité qui s'enracinait en elle.
Si la fille s'en rendit compte, elle ne le mentionna pas.
– Moi, c'est Mélissa Lacroix, dit la nouvelle camarade de Caroline en lui tendant une petite main délicate.
Caroline lui jeta un curieux regard et serra faiblement sa main.
– Caroline Lapointe.
– Donc, tu es nouvelle dans la région?
– Oui.
– Et tu t'en viens finir ton secondaire avec cette bande de fous? Je te plains!
Mélissa éclata de rire comme si c'était la meilleure blague qu'elle avait entendue depuis une éternité. Caroline trouva étrange que ce son, si spontané, si sincère, la réconfortât. Une partie de la tension qui habitait Caroline se dissipa. Une lueur d'espoir se mit à briller dans son cœur. Une amie, enfin? Peu à peu, un sourire se dessina sur ses lèvres.
– Tu vas voir, ils ne sont pas si mauvais que ça, lui assura Mélissa.
Elle la regardait avec un sourire en coin.
– Tu sais, continua Mélissa, tu nous as fait peur au début. On croyait que tu étais folle quand on t'a vue rire toute seule dans l'agora. Je suis rassurée maintenant, tu ne l'es pas plus que moi.
À ces mots, Caroline tressaillit. Le sourire de Mélissa disparut aussitôt et une expression d'inquiétude le remplaça.
– Ça va, Caroline? demanda Mélissa, sa voix empreinte de souci.
– J-J-Je... oui, ça va, répondit Caroline.
Cependant, avant que Mélissa puisse questionner Caroline davantage, l'enseignant, M. Gaudreau, débuta son cours.
Toute la période, Caroline évita de parler ou de regarder Mélissa. Les paroles que Mélissa avait prononcées avaient profondément troublé Caroline. Si elle savait ce que je fais, elle saurait à quel point je suis vraiment folle. Et je ne crois pas qu'elle désirerait m'adresser la parole à nouveau.
Lorsque le cours fut terminé, Mélissa tenta d'en savoir plus sur le malaise dont Caroline avait été prise un peu plus tôt, mais cette dernière balbutia quelque absurdité à propos d'une fièvre et se précipita hors de la classe.
C'était l'heure du dîner, mais Caroline n'osa pas manger à la cafétéria. Elle craignait devoir affronter Mélissa et s'expliquer. La force de le faire l'avait quittée. La jeune fille choisit de dîner à la bibliothèque.
En franchissant les portes de cette dernière, Caroline fut accueillie par une forte odeur âcre qui se dégageait des murs fraîchement peints en teintes apaisantes de bleu. La pièce se mit soudainement à tourner et l’adolescente chancelante s’adossa au mur afin de ne pas perdre pied. Peut-être n’est-ce pas le meilleur endroit pour manger? se demanda-t-elle. Cependant, la sensation fut vite passée. Caroline se dirigea alors prudemment vers l’un des nombreux fauteuils poire et s’y laissa tomber. Elle regarda autour d’elle. La bibliothèque semblait être le repère par excellence des âmes solitaires qui se recueillaient dans l’atmosphère quasi-mystique qui régnait dans cette grande pièce en forme de L. Quelques fois, l’oreille attentive pouvait discerner de doux chuchotements qui mouraient aussi calmement qu’ils étaient nés.
Paisiblement, Caroline ferma les yeux. Elle songea au cours d'économie et à Mélissa. Pour un instant, elle avait baissé sa garde. Elle avait cru peut-être avoir trouvé une amie, une vraie amie. Mélissa l'avait rendue assez à l'aise... jusqu'à ce qu'elle mentionne le mot «folle». Alors, Caroline s'était souvenue qu'elle était trop différente, qu'elle avait un secret qu'elle devait conserver. Elle ne pouvait pas se lier d'amitié avec quiconque.
Ces sombres nuages de pensées assombrirent ainsi la première journée d'école de Caroline qui ne se doutait pas des événements qui découleraient de sa rencontre avec Mélissa.


2 commentaires:
J'aime vraiment comment tu decrivais l'emotion de Caroline et la reaction de ces adolescents. En fait, la premier partie de ce chapitre me rappelle le nouveau semestre qui va venir bientot!
Merci. Je suis content que les émotions semblent justes.
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