8/02/2006

Stigmates: chapitre 3

Le lendemain, Caroline se trouvait seule à son domicile. Jessica avait déjà commencé à travailler et Rock préparait ses cours à l'université. Son père y avait son bureau privé et prétendait que l'atmosphère y était beaucoup plus propice à… Quelle était son expression? À la dilatation de son esprit créateur. Peu importe ce que cela voulait dire. Si on en jugeait à ce que son père affirmait, tous les endroits étaient plus favorables à son esprit créateur que sa propre demeure. Caroline ressentit de la colère contre son père se manifester et aussitôt elle fut remplacée par de la culpabilité d'avoir même osé être fâchée contre celui-ci. Cette culpabilité se transforma en son tour en irritation envers elle-même. Comment pouvait-elle penser cela de son père! Caroline réprima ses sentiments et tenta de se distraire.

L'adolescente déambula de pièce en pièce dans la maison. Il y avait quelque chose d'à la fois merveilleux et terrible à propos de l'intimité qu'elle avait cette journée-là. Aujourd'hui, personne ne l'effraierait. Elle était en sécurité.

Caroline gagna sa chambre et se mit à feuilleter quelques magazines. Après près d'une heure, un sentiment étrange s'infiltra dans Caroline : la peur. La peur de quoi? La jeune fille n'en avait pas la moindre idée. Les minutes s'écoulaient et son inquiétude prenait de l'ampleur. Caroline savait que c'était insensé, elle n'avait rien à craindre. Cependant, l'adolescente était incapable de supprimer cette anxiété. Soudain, les souvenirs de la veille revinrent la hanter. Elle se rappela le garçon de l'agora. L'angoisse et la colère montèrent en elle.

La solitude devenait maintenant insupportable. Le silence écrasant allait la rendre folle. Les quatre murs de sa chambre semblaient se refermer sur elle. La jeune fille était prise de panique. Tout devenait flou, comme dans un rêve. Son esprit s'envolait. Non! Pourquoi aujourd'hui? Tout allait pourtant bien! Elle commençait à respirer de plus en plus vite. Elle regarda son lit. La solution était là. Elle pouvait arrêter cette crise facilement. Elle n'avait qu'à prendre ce qui se trouvait sous son matelas.

Lentement, elle souleva son matelas. Elle prit le petit canif qui y était caché. Son regard était vide maintenant. Son esprit était ailleurs. Elle se regardait à distance. Machinalement, elle sortit la plus grosse lame du canif. Elle releva la manche gauche de sa blouse et révéla des dizaines de cicatrices blanches, rouges, roses partout sur son bras. Elle mit la lame en contact avec sa peau et, sans même broncher, se coupa. La douleur la calma un peu mais ce n'était qu'une éraflure, alors elle répéta le mouvement plus lentement, en appliquant une plus grande pression sur le canif. Cette fois, la coupure était profonde. Du sang apparut à la surface. Caroline était hypnotisée par la vue du liquide rouge qui coulait le long de son bras. Désormais, la douleur était plus aiguë. Puis, sa fréquence cardiaque ralentit. Elle put respirer normalement. La douleur et le sang lui permettaient de se concentrer sur son corps. Son esprit revint et elle reprit contrôle de son corps.

Sa main lâcha le canif, elle recula contre le mur et se laissa glisser jusqu'au sol. Elle ferma les yeux. La peur, l'anxiété, l'angoisse, la colère, ces sentiments négatifs s'étaient tous échappés avec son sang et la douleur. Elle s’était relaxée. La douleur avait cet effet lorsqu'elle était utilisée correctement. C'était la médecine de Caroline. C'était son secret.

Caroline regarda son bras. Il saignait encore. Elle prit quelques mouchoirs et les appliqua contre sa coupure. Ils retiendraient son sang le temps qu'elle traverse à la salle de bains. Cette dernière communiquait heureusement avec la chambre de Caroline. Celle-ci se considérait particulièrement chanceuse, étant donné les circonstances. Elle fit couler l'eau du lavabo et rinça son bras. Puis, elle appliqua de l’eau oxygénée et un bandage sur sa coupure. Elle abaissa la manche de sa blouse. Rien ne paraissait. Elle imbiba d’eau quelques serviettes et nettoya le sang qui avait coulé le long de la lame du canif ainsi que sur le plancher de sa chambre. L’adolescente remit son précieux outil en place sous le matelas. Finalement, elle se coucha et dormit jusqu'en fin d'après-midi.



Caroline ouvrit lentement les yeux. Elle tourna la tête vers son radioréveil qui affichait seize heures. Bien. Elle était seule car sa mère travaillait jusqu'à dix-sept heures et son père, dix-sept heures trente. La jeune fille s’étira de façon très lasse et se rendit à la salle de bains. Elle s’aspergea le visage d’eau froide, dissipant efficacement la fatigue qui tentait de s’ancrer en elle. Elle inspecta ses vêtements dans le miroir afin de s'assurer qu'aucune goutte de sang n'y était tombée. Tout était comme il le fallait. Sa coupure ne s'était pas remise à saigner non plus. Cela lui ferait tout simplement une autre cicatrice.

Elle mit cet épisode derrière elle, tel elle le ferait d’une blessure accidentelle, et alla préparer le souper comme sa mère le lui avait demandé.

5 commentaires:

Weichuen You a dit...

Wow, le developpement de l'histoire est un peu etonnant. Cela me rappelle un film par Isabelle Hubert. Je pense que le titre est "The Pianist." Est-ce que Caroline est depressive?

Marc a dit...

Caroline souffre d'automutilation. C'est un espèce de problème mental comparable à l'anorexie. C'est une incapacité de la personne de gérer ses émotions qui se manifeste par des gestes autodestructeurs, comme se couper, se brûler, etc.

Si tu veux en savoir plus, je t'invite fortement à lire ce site web: http://www.selfharm.net/

Quand j'ai écrit cette histoire, mon but était justement de faire découvrir cette condition qui atteint plusieurs personnes (surtout des jeunes filles, mais également quelques garçons).

l ' i m p o s t e u Z e a dit...

Déroutant de voir à quel point son comportement la laisse de glace. Elle sait qu'elle est différente des autres, mais au moment où elle passe à l'action, ça semble banal pour elle.

Je vais aller jeter un oeil sur le site web que tu suggères.

Jag a dit...

C'est bien écrit! Bravo! J'aurais dû la lire plus tôt! Elle m'aurait évitée des soucis... Tu réussis super bien à évoquer la vie d'une adolescente troublée et je pense que plusieurs d'entre nous peuvent si reconnaitre!!

En passant, je connais une Caroline Lapointe d'Alfred, bin originaire de Maniwaki.

Marc a dit...

Merci, c'est bien gentil. Je suis content que ça te plaise.

Pour ma part, je suis un peu comme ces artistes qui, une fois l'oeuvre complétée, la trouve répugnante. En fait, c'est un peu comme dans Whisper of the Heart! Tu te souviens, le film avec la fille qui écrit une histoire sur la statuette de chat, le garçon qui fabrique des violons, le chat vagabond qui prend le train! Aaaah! Je l'ai réécouté dernièrement et je crois sincèrement que c'est l'un de mes films préférés... Je ne crois pas qu'il surpasse Lost in Translation, mais il n'est pas loin!

OK, je suis parti hors sujet, mais bon.

Merci encore!