– Hmm… Tu ne t’es pas manquée cette fois-là. Qu’est-ce qu’il y avait?
Caroline se mordait la lèvre. Elle haussa les épaules, en évitant le regard de Mélissa.
– J’sais pas, murmura-t-elle d’une voix monotone.
Mélissa inclina la tête de côté et leva les yeux des cicatrices de son amie. Elle la regarda tendrement.
– Tu sais que tu n’as pas à t’en vouloir, commença doucement Mélissa, même si tu t’es coupée. C’est normal. Tu ne peux pas arrêter du jour au lendemain. Et même si tu pouvais, je ne voudrais pas que tu le fasses car tu n’aurais plus le moyen de vivre avec tes émotions.
Caroline hocha la tête imperceptiblement tandis que Mélissa repansait soigneusement sa plaie. L’adolescente se laissa faire, la figure vide d’émotion.
Une fois encore, elle ne savait quoi penser de ce qui s’était passé ces derniers jours. Après le recul que Mélissa avait pris, elle était maintenant plus près qu’elle ne l’avait jamais été. Son dégoût pour ses cicatrices semblait s’être volatilisé. Ainsi, Mélissa était redevenue l’amie merveilleuse qu’elle avait été dès le début de l’année scolaire et Caroline ne savait quoi faire de tout cela. Comment expliquer ce changement radical d’attitude? Caroline soupçonnait son amie de s’être informée auprès de quelque spécialiste de la santé. En effet, Mélissa avait progressivement commencé à lui parler de ce qu’elle vivait, de ce que les psychothérapeutes appelaient l’automutilation. Toutefois, Caroline n’écoutait toujours que distraitement. Elle ne se sentait pas assez forte pour entendre les choses que Mélissa tentait de lui dire. Cette dernière discernait le désintérêt de Caroline et se taisait.
C’est ainsi que Caroline acceptait machinalement l’attention que son amie lui portait. La possibilité d’un second rejet de la part de Mélissa terrifiait Caroline. Néanmoins, ainsi que paradoxalement, son amie la sécurisait.
– Je dois partir, maintenant, toutefois, si l’envie te reprend, tu m’appelles immédiatement, d’accord?
Mélissa prit gentiment la tête de Caroline entre ses mains et la tourna pour qu’elle la regarde dans les yeux.
– On s’entend, n’est-ce pas? Tu m’appelles si quelque chose ne va pas?
– D’accord, répondit Caroline faiblement. Je t’appelle.
Mélissa serra son amie fortement contre elle et la salua d’un ravissant sourire.
Caroline la reconduit jusqu’à la porte d’entrée. Elle observa son amie disparaître dans l’épais nuage de neige qui tourbillonnait de façon chaotique. La menaçante gueule de l’hiver sembla engloutir Mélissa.
La jeune fille se rendit au salon et s’assit près de la fenêtre. Pensive, elle appuya sa tête contre la surface froide et lisse de la vitre. Son père corrigeait consciencieusement des examens dans son petit cabinet de travail. Sa mère était plongée dans la lecture d’un livre d’Yves Beauchemin dans le grand fauteuil de cuir du salon. Le silence de la maison pesait lourdement sur Caroline. Trop lourdement.
La jeune fille se retira dans sa chambre en prenant bien soin de fermer la porte derrière elle. Elle se regarda dans le miroir et déboutonna sa blouse qu’elle laissa tomber par terre. Elle s’étudia longuement. Ses cicatrices étaient si laides, si répugnantes. Comment avait-elle pu en arriver jusque là? Quelle ratée elle était! Il lui semblait qu’aucune fois dans sa vie elle n’avait été capable d’accomplir correctement une tâche. Elle vivait continuellement échec après échec.
Tranquillement, calmement, son esprit quitta son corps. Elle s’empara de son précieux canif. Elle posa la lame inconsciemment à la hauteur de son poignet puis elle se coupa lentement, savourant la douleur qui la libérait de son malaise.
Une fois son rituel terminé, Caroline réalisa que quelque chose n’allait pas du tout. L’entaille était trop profonde, beaucoup trop profonde. Le sang coulait à profusion de sa plaie. Hâtivement, elle se rendit à la salle de bains et tenta vainement d’arrêter le saignement. L’inquiétude gagna rapidement Caroline. Sa fréquence cardiaque augmentait considérablement. Haletant, elle retourna dans sa chambre. La pièce se mit à tourner et Caroline chancela. Elle s’appuya contre sa table de chevet, étourdie, faible, nauséeuse. Son bras ne s’était toujours pas arrêter de saigner. Affolée, elle tituba jusqu’à la porte. Sa main ensanglantée glissa sur la poignée et l’adolescente s’écroula. Sa tête heurta violemment le mur.
Caroline entendit sa mère lui demander ce qui se passait. Elle la vit entrer et se mettre à crier hystériquement. Son père accourut et s’accroupit près d’elle. Tout tournait et s’assombrissait.
Ce fut une image de sa mère en pleurs et de son père se jetant sur le téléphone qu’elle apporta avec elle avant de sombrer dans le silence et la noirceur de l’inconscience.
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