12/24/2006

Stigmates: chapitre 12

– C’est comme ça que j’ai appris plein de choses intéressantes sur des petits villages, comme Tweed en Ontario. On n’y pense pas souvent, mais…

Caroline poussa un profond soupir. Elle n’était présente que de corps et non d’esprit au cours d’histoire de monsieur Paradis. Les radotages amusants de cet enseignant pour le moins spécial ne suffisait plus pour retenir l’attention de la jeune fille. Depuis près de deux semaines déjà, Caroline était en proie à une sombre et profonde mélancolie. Elle avait échoué dans sa mission la plus importante : cacher son secret. Elle s’était trop attachée à Mélissa. C’était de sa propre faute si elle en souffrait maintenant.

Mélissa se tenait un peu plus à l’écart de Caroline. Quand elle lui parlait, Caroline devinait son malaise d’autant plus qu’elle avait très bien lu le dégoût dans le visage de son amie lorsque celle-ci avait regardé ses cicatrices. Et Caroline ne tentait pas de remédier à la situation. Maintenant que Mélissa savait qu’elle était folle, Caroline n’osait plus croiser son regard. Chaque fois qu’elle le faisait par inadvertance, elle croyait discerner la répulsion qu’elle provoquait chez Mélissa. La situation avait amené Caroline à se couper davantage ces temps-ci. Pour l’adolescente, ce signe de faiblesse évident de sa part alimentait ses sentiments de honte, de culpabilité et de colère malgré le fait qu’elle n’eût été capable de les nommer.

En plus, ces récents événements avaient soulevé chez la jeune fille une nouvelle vague d’anxiété ainsi que de nouveaux questionnements. En effet, la fréquence de ses crises s’était considérablement accrue depuis la rentrée scolaire. Caroline s’interrogeait sur les effets néfastes que cette augmentation pourrait entraîner chez elle. Néanmoins, elle ne pouvait rien y faire. Les bénéfices qu’elle retirait de sa pratique lui étaient vitaux.

Du coin de l’œil, l’adolescente aperçut Mélissa se lever afin d’aller tailler son crayon. Elle sentit le regard de cette dernière sur elle. Caroline garda les yeux fixés sur l’enseignant, bien qu’elle n’y portât aucunement attention, et se mordit la lèvre inférieure.
Mélissa. Caroline ressentit un vif pincement au cœur. D’un côté, Caroline avait toujours su que les liens qu’elle formait avec sa camarade de classe ne pouvaient que lui apporter malheur et souffrance. D’autre part, cette amitié avec Mélissa avait paru si sincère, si désirée de la part de cette dernière. Quant à Maria et Nadine, Caroline se tenait à l’écart d’elles aussi. Bien qu’elle ne s’en rendit pas compte, elle craignait beaucoup plus la déception et le rejet de leur part depuis que Mélissa avait découvert son secret.

Pourquoi n’avait-elle pas fermé la porte de sa chambre derrière elle ce soir-là? Habituellement, lorsqu’elle entrait en transe, elle demeurait assez consciente pour s’assurer que personne ne puisse la surprendre. Cette fois-là, tout était allé différemment. Pour toute explication, elle se dit qu’elle devenait de plus en plus folle. Elle sourit amèrement.



Monsieur Paradis parlait ; Mélissa n’entendait rien.

Elle avait toujours été une élève très attentive en classe, une élève de si bonne humeur. Pourtant, ces derniers jours, rien n’y faisait : elle n’arrivait tout simplement pas à se concentrer sur quoi que ce soit et son entrain habituel avait fondu comme de la neige sous un soleil d’été. Le fameux secret de Caroline la tourmentait. Elle avait tant cherché à le percer et maintenant qu’elle connaissait la vérité sur son amie, elle ne savait quoi faire. Elle était prise au dépourvu.

Mélissa s’était attendue à tout, absolument tout, sauf à… ça. Caroline se coupait… volontairement. Mélissa ne savait plus quoi penser. Malgré ce qu’elle avait dit à Éric, elle aurait préféré que Caroline se drogue ou, pis encore, qu’elle soit victime d’abus sexuel. Au moins dans ces cas, elle aurait pu s’en prendre à quelque chose ou quelqu’un. Mais non. Tout se jouait dans la tête de Caroline.

Mais pourquoi se blessait-elle? Pourquoi? Comment pouvait-elle supporter la douleur? Était-elle masochiste? Trop de questions demeuraient sans réponse dans l’esprit de Mélissa. Simultanément, elle rageait intérieurement contre son amie qui adoptait ce comportement incompréhensible et mourait d’inquiétude, de souci et de remords.

Mélissa, terriblement troublée, laissa échapper un juron sous son souffle. Elle avait promis à Caroline de garder son secret. Quelle erreur de sa part! Mélissa avait pu se restreindre de mentionner sa découverte à Maria et Nadine, mais Caroline se faisait de plus en plus distante. Mélissa aurait tant souhaité être plus près d’elle ces temps-ci, mais elle ne maîtrisait pas ses émotions par rapport à cette situation. C’était un terrain hostile et inconnu. Elle devait briser cette promesse idiote maintenant. Elle ne pourrait jamais aider Caroline sans aide extérieure. Et elle savait exactement à qui s’adresser afin d’obtenir l’aide nécessaire à Caroline et ainsi mieux comprendre ce dont son amie souffrait.



Éric se tenait la tête entre les deux mains plutôt par fatigue que par abattement.

– C’était donc ça. Caroline s’automutile.

Il secoua légèrement la tête.

– Pauvre fille, laissa-t-il échapper tristement.

Mélissa roula les yeux.

– Tu ne peux pas me dire quelque chose que je ne sache pas déjà? demanda-t-elle d’un ton brusque.

Son frère lui jeta un regard exaspéré.

– Tu sais que tu devras changer d’attitude par rapport à cette maladie? Car si tu te bornes à penser comme tu le fais présentement et à continuer à agir ainsi, t’es mieux de me laisser m’occuper de Caroline seul.

Mélissa poussa un long soupir en se laissant tomber à ses côtés. Elle passa sa main dans son épaisse chevelure et ferma les yeux.

– Je sais, je sais, commença-t-elle. C’est tellement dur de savoir que mon amie se fait mal comme ça. Je ne sais pas quoi faire ou quoi penser. Et je me sens mal d’avoir brisé ma promesse.

Le visage d’Éric se fit sympathisant.

– Je te comprends. C’est pour ça que je vais t’apprendre quelques petites notions de base par rapport à l’automutilation question de démystifier les choses. Bon, comme tout le monde se devrait de le savoir…

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